Le cyprès de Duprez est une espèce menacée. Les mâles ont donc pris les choses en main. Ils se reproduisent seuls ou presque. Une adaptation génétique particulière.
Chez Cupressus dupreziana pas vraiment besoin du sexe féminin pour se reproduire, on fait ça entre mâles. Des chercheurs français de l'Institut national de recherche agronomique à Avignon ont découvert que cette espèce de cyprès n'utilise pas la fécondation classique entre un gamète mâle et un gamète femelle. Pour montrer cette exception dans le monde végétal, les scientifiques ont eu recours à des "mères porteuses". Une adaptation génétique qui répond à des contraintes démographiques.
Il ne reste aujourd'hui que 231 Cupressus dupreziana, ou cyprès de Duprez, dans le désert de Tassili N'Ajjer, en Algérie. Des anomalies dans la reproduction de cette espèce avaient déjà attiré l'attention des chercheurs d'Avignon. D'abord la taille des grains de pollen. "Il s'agit des plus gros du genre Cupressus, chargé de recherches à l'unité de recherches forestières méditerranéennes à l'Inra, Ce qui nous a amenés à penser qu'il contenait sûrement plus d'ADN que la normale." De plus, le tissu nourricier de l'embryon, appelé endosperme, est diploïde. Or normalement il est haploïde, c'est-à-dire qu'il ne contient que la moitié du matériel génétique. Par ailleurs, les chercheurs ont comparé le génome de la mère à celui de l'embryon. Aucune trace du génome maternel dans celui du rejeton. Ils ont donc émis l'hypothèse que l'œuf est issu directement du développement du gamète mâle à savoir le grain de pollen.
Pour vérifier cette hypothèse, Christian Pichot et ses collègues ont examiné les individus issus de croisements contrôlés entre Cupressus dupreziana et une autre espèce, Cupressus sempervirens (le cyprès de Provence). Ce qui a permis de différencier facilement le gamète mâle du gamète femelle. Le pollen du premier a fécondé le gamète femelle du second. Résultat : dans le génome embryonnaire, seuls les marqueurs paternels sont présents. Les descendants sont rigoureusement identiques au parent mâle. Première conclusion : "il n'y a pas de fécondation. Nous sommes en présence d'apomixie paternelle," indique le chercheur français.
Chez certaines espèces végétales, on observe le développement d'un embryon à partir d'un seul parent. Mais il s'agit toujours de la mère. Dans le cas présent, le grain de pollen porte la totalité du nombre des chromosomes au lieu de la moitié et génère seul un embryon. "Ce mode de reproduction [apomixie paternelle, ndlr] n'a jamais été observé chez les plantes, remarque Christian Pichot, les structures femelles du Cyprès de Provence n'ont servi que de mères porteuses."
Les chercheurs soupçonnent donc un schéma identique de reproduction chez le cyprès de Duprez. Mais il existe une difficulté à la prouver. "Au niveau génétique, nous n'arrivons pas à différencier ce qui vient du père de ce qui vient de la mère chez l'embryon, explique François Lefèvre de la même unité que Christian Pichot, ils sont identiques."
Les chercheurs pensent "qu'il s'agit probablement d'une adaptation génétique de l'espèce pour éviter la consanguinité." Si les individus se reproduisaient entre eux, cela entraînerait une forte consanguinité et augmenterait ainsi le risque d'extinction. Les mutations génétiques qui surviennent sont la plupart du temps récessives, un seul allèle est touché. Ce n'est que si la fécondation s'effectue avec un individu possédant la même mutation que le caractère va s'exprimer. En utilisant ce mode de reproduction, ils évitent de se croiser. Donc plus de problème. Mais l'espèce n'évolue plus ou que très peu. Or pour qu'une espèce survive, le brassage génétique, seul garant de l'adaptation à long terme, est nécessaire.